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Le théâtre intérieur : la dynamique des sous-personnalités

(Première partie)

 

Février 2025

par Pauline Guérisse

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J’aime les récits de vie. Les histoires qui me sont confiées racontent l’humain dans ses nombreuses facettes. Je suis souvent admirative des stratégies qui sont trouvées pour survivre, surmonter un obstacle. Ecouter vraiment les histoires de vie fait du bien parce que c’est une façon d’honorer toutes les forces du vivant et de restaurer la dignité de la personne qui cherche à résoudre comme elle peut des situations parfois complexes.

Souvent quand j’entends une histoire, je distingue en fait plusieurs trames. En général, il y a la trame dominante, celle qui raconte comment la personne se perçoit et perçoit sa vie. Il y a aussi l’histoire du « problème » qui fait que la personne a pris rendez-vous, mais il y a d’autres histoires qui se racontent de façon sous-jacente. Parfois la personne en a conscience et est déconcertée par ce qu’elle perçoit comme une ambivalence incompréhensible : « Tout va bien dans ma vie mais malgré tout je ressens un vide, quelque chose ne va pas, je me sens triste. » Quelque chose raconte une histoire de tristesse en arrière-plan, mais la personne ne veut pas de ce scénario et se raconte quelque chose à propos de cette tristesse. Simultanément il se raconte beaucoup d’histoires en nous. Nous sommes agis de l’intérieur par ces différentes trames. Nous en aimons certaines, détestons celles qui ne donnent pas une bonne image de nous-mêmes ou nous font paraître fragiles. Ou a contrario, nous pouvons être attachés à une narration très négative à propos de nous-mêmes, aveugles aux évidentes ressources qui émaillent notre parcours.

Ces histoires se complexifient  quand nous sommes en relation. Nos trames individuelles vont résonner ou se heurter à celles des autres. Nous pouvons aussi  être porteurs de récits familiaux ou collectifs qui vont nous agir de l’intérieur et déterminer la manière dont nous entrons en contact avec le monde. Et à l’inverse, l’histoire collective se nourrit des trames individuelles qui se rejouent à notre insu souvent.

Nos histoires intérieures s’appuient sur des dynamiques psychiques universelles (nommées « archétypes » par C.G Jung) que chacun colore en fonction de son individualité. Ces dynamiques sont comme des personnages jouant une pièce sur la scène d’un théâtre intérieur. Certains ont des rôles importants, d’autres mineurs, certains se disputent, s’allient ou sont relégués dans les coulisses, d’autres ne savent pas quoi dire. Quand des scénarios se jouent sans que notre « Je » en ait conscience, nous sommes comme un propriétaire de théâtre ignorant qu’une pièce a lieu en son sein. Devenir conscient de ces dynamiques intérieures peut être une voie amenant à davantage d’harmonie psychique. Développer un « Je » conscient, serait comme placer un metteur en scène, capable d’être en lien avec les différents acteurs, pas pour les contrôler mais pour être en interaction consciente avec eux. Ces acteurs intérieurs sont nommés en psychologie jungienne « sous-personnalités ». Dans son autobiographie, Jung[1] décrit la rencontre avec ses personnages intérieurs et le dialogue qu’il instaure avec eux.  Outre atlantique, Hal et Sidra Stone, tous deux psychologues cliniciens, ont à partir des années 1980, approfondi le travail avec les sous-personnalités[2]. Ils ont développé une  approche qu’ils ont nommée le  « Voice Dialogue »[3]. Véronique Brard est en France la personne qui a transmis et traduit les livres d’Hal et Sidra Stone. J’ai eu moi-même la chance de travailler avec Véronique Brard pendant près de 10 ans. Je la remercie pour ces heures et journées d’accompagnement patient.

Le concept des sous-personnalités parle facilement à tout le monde parce que chacun expérimente au quotidien qu’il peut être connecté à différents états d’être selon qu’il se trouve dans son identité professionnelle, amoureuse, parentale etc … Il y a des casquettes et des masques que l’on porte sans s’en rendre compte et que l’on a du mal à enlever ne serait-ce que quelques heures. Souvent on exprime ces différents « Je » en parlant de « parts de soi » ou de «  côtés de soi » : «  Une part de moi voudrait cette promotion  mais une part me dit que je ne pourrai jamais développer ma créativité si je l’accepte, je suis perdu(e), coupé(e) en deux. » C’est souvent quand on est en proie à de vives contradictions qu’on prend conscience que notre « Moi » n’est pas un monobloc.

Nous sommes vivants, la psyché est vivante et indissociable du corps. Nous sommes sans cesse traversés par des dynamiques sur les plans physique, émotionnel, mental et spirituel. Ces dynamiques forment notre « troupe intérieure » et nous agissent et tissent nos vies plus que nous le soupçonnons.

 

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[1] Ma vie Carl Gustav Jung 1961 Ed : Gallimard coll : Folio

[2] Accueillir tous ces «  Je » Hal et Sidra Stone Warina Edition 2010

[3] « Dialogue Intérieur » en français.

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