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Le Rêve Eveillé Libre

 

 

 

Le 17 décembre 2020

par Pauline Guérisse

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« Le patient et le thérapeute, au seuil de chaque rêve,

 sont toujours placés face à l’imprévisible. »

Georges Romey

 

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Depuis des temps immémoriaux et sans doute dans toutes les cultures, les hommes ont perçu que les rêves avaient une signification. Dans les sociétés dites premières, écouter les rêves va de soi. On peut citer en exemple le peuple Sénoï[1] dont les membres commençaient leur journée en se racontant  leurs rêves susceptibles de donner l’orientation des activités de la journée.

Au fil des temps, de nombreuses « clés des rêves » ont été écrites, plus ou moins pertinentes, certes.

Avec les Lumières, le rêve a été dévalué. Beaucoup de penseurs ont pu voir l’intelligence symbolique comme une intelligence primitive heureusement supplantée par le règne de la logique et de la science. Ainsi pour Alain «  les mythes sont des idées à l’état naissant » et «  l’imaginaire est l’enfance de la conscience ».  [2]

La psychanalyse, à la fin du 19e siècle, avec Freud tout d’abord, a réhabilité le rêve, en en faisant une « voie royale » vers l’inconscient. Freud a compris que les rêves montraient les problématiques psychiques inconscientes et a défini certains grands mécanismes qui organisent la psyché. A l’inconscient personnel de Freud (constitué des refoulements successifs durant la construction de la personnalité), Carl G. Jung a ajouté une couche plus profonde, l’inconscient collectif, dynamisé par les grands archétypes structurant la psyché humaine. Il a montré que les symboles pouvaient se rapporter à une réalité inconsciente dépassant l’histoire personnelle, ne se réduisant pas en cela au mince secteur du refoulé.

La méthode du Rêve Eveillé Libre s’inscrit dans la lignée psychanalytique.

C’est à partir de 1923 que Robert Desoille conçoit le Rêve Eveillé Dirigé en psychothérapie. Il écrit plusieurs ouvrages à partir de 1938 à propos de ses recherches. [3] En 1980, Georges Romey [4] fait évoluer la méthode en enlevant son côté directif. Le rêve éveillé libre (REL) est né. Georges Romey a enseigné le REL avant d’en confier l’enseignement à l’EREL, l’Ecole du Rêve Eveillé Libre (affiliée à la FF2P : Fédération Française des Psychothérapeutes et des Psychanalystes) qui forme à la méthode en trois ans.

On peut définir le REL comme une mobilisation libre de l’imaginaire en situation de relaxation à des fins psychothérapeutiques. Les images spontanées mettent en scène de façon fidèle les mécanismes intérieurs, les inhibitions, les ressources inexploitées, et permettent aussi l’expression de contenus émotionnels refoulés.

Dans un premier temps je vais décrire très concrètement comment se passe une séance de rêve éveillé libre, puis je proposerai quelques extraits de rêves et enfin j’exposerai les principes importants sur lesquels repose le REL.

 

1 /  La séance de REL en pratique

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Une séance classique se déroule en trois phases : l’accueil, le Rêve Eveillé en lui – même puis l’interprétation.

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  • Le temps d’accueil 

La personne va pouvoir ici exprimer ce qu’elle perçoit consciemment de ses mouvements intérieurs depuis la séance précédente. Quelque chose a –t-il été bousculé ou au contraire calmé depuis la dernière séance ? Y a- t-il eu des prises de conscience, des réflexions, des évènements, des rêves nocturnes ?

 

  • Le Rêve Eveillé Libre

La personne se place dans un état de détente et passe progressivement d’un état de conscience vigilant à un état de lâcher prise intérieur où l’intellect perd de se son emprise.

Le thérapeute l’invite à solliciter son imaginaire, à laisser venir spontanément des images et à les laisser s’enchaîner spontanément.

Le rêve est non inductif : la personne est libre de ses images, de son rythme, de son temps de rêve. Le thérapeute n’a aucun projet pour le patient, il accueille et note le scénario au fur et à mesure que le rêveur décrit ce qu’il voit. Un Rêve Eveillé dure entre 15 mn et 45 mn en général. Il s’arrête de lui-même. Le rêveur sent quand le film s’arrête.

Souvent les premières fois, certaines personnes ne se pensant pas imaginatives, il peut y avoir une certaine appréhension à « ne pas réussir l’exercice », mais cette inquiétude disparaît vite. Tout le monde a la capacité de rêver et il n’y a pas de rêve éveillé réussi ou manqué. Certains rêveurs élaborent des scénarios très symboliques quand d’autres restent dans une narration beaucoup plus proche de la réalité teintée des inquiétudes du moment, ou encore peuvent se retrouver projetés dans le récit de souvenirs d’enfance tout à fait réels pour le coup. Il peut aussi y avoir très peu d’images mais une grande décharge émotionnelle.L’essentiel est de laisser s’exprimer spontanément ce qui est là. Cela demande de s’abandonner dans le processus, de laisser l’intellect analysant de côté pour se laisser vivre les états intérieurs qui demandent à être écoutés et conscientisés.

 

  • L’interprétation

Quand on sort d’un rêve éveillé, on peut être bousculé. Les symboles, chargés d’énergie, ont pu provoquer des émotions, des sensations, des prises de conscience. Dans cet état, il n’est pas forcément facile d’avoir un regard global sur le scénario parfois déroutant qui vient de se dérouler. Cependant spontanément, la personne souligne les passages qui l’ont marquée, intriguée, exprime l’état dans lequel elle se sent ou certaines émotions qui l’ont traversée.

J’aime aussi parfois proposer au rêveur de donner un titre à son rêve, cela peut amener un éclairage intéressant à l’interprétation.

Le rêve éveillé, tout comme les rêves nocturnes, appartient à la personne. L’interprétation émerge de ce que cette dernière exprime, elle n’est pas une analyse intellectuelle du thérapeute.

Si les symboles ont la plupart du temps un sens universel[5], c’est à la personne elle-même d’abord de mettre un sens, pas à partir de ce qu’elle sait intellectuellement d’un symbole mais de ce qu’elle lui associe, de ce qu’elle y projette. Le thérapeute, en résonance, est là pour accueillir et enrichir l’interprétation en proposant de manière non directive quelques lignes supplémentaires de lecture.

Ainsi la personne s’approprie son rêve et entre en conscience avec les dynamiques qui s’y sont exprimées. Elle a alors la sensation d’être reliée à des questionnements, des conflits internes profonds qu’elle n’arrivait peut-être pas à formuler clairement jusque-là.

Il est courant que des images du rêve éveillé restent très présentes pendant les jours qui suivent parce que le rêve a enclenché un mouvement. Certaines personnes, plusieurs années après, peuvent même se rappelerd’un rêve éveillé marquant.

Parfois cependant le rêve éveillé, peut rester partiellement incompris, et ce n’est pas grave ! Le rêve suivant ou un rêve nocturne amèneront sûrement des éclaircissements. Le temps qui gouverne la psychothérapie n’est pas celui du Mental volontaire.

La phase d’interprétation du rêve éveillé est incontournable car elle permet la prise de conscience. Elle l’ancre dans le concret.

 

 

2/ Quelques exemples de Rêves Eveillés Libres

 

  • Quand le corps se souvient : deux extraits de Rêves Eveillés successifs de S., une femme de 41 ans.

«  Un gros nuage noir, comme dans les dessins animés, avec une tête. C’est noir. Les yeux sont en colère. C’est gonflé. Il y a quelques éclairs, une tornade. […] Je suis sur un mur, je ne peux pas avancer. Je ne peux pas reculer. Il y a du vent. J’ai froid. Il fait 2m de haut. Je n’arrive pas à voir le bout devant ou derrière. Je me sens crispée. Mes muscles se tendent. J’essaye de me détendre, je n’y arrive pas. Je me sens énervée. Je ne me sens pas en sécurité. Je suis en colère après ma mère. […] Cela me crispe cette colère. Cela me met dans l’état où j’étais après avoir été frappée : les poings crispés, le corps qui tremble. Je me rappelle les maux de tête aussi, à force de pleurer. Là, je sens une barre au niveau de la tête. Je suis dans ma chambre d’adolescente. [pleurs] Là j’ai la peur que j’avais quand j’étais enfant qui revient. Mon beau-père me faisait peur. Je ne savais pas jusqu’où il pouvait aller. »

 

« […] De la colère, comme une boule de feu. On m’a toujours dit que c’était moi le problème. «  Il y a toujours quelque chose qui ne va pas avec toi ». [Pleurs] J’ai l’impression que je ressenstoute la tristesse ressentie à l’époque. J’ai 6 ou 7 ans. Je ressens à quel point j’étais triste, je le réalise. On ne me voit jamais sourire sur les photos. Je mesure cette tristesse. C’est violent. Cela me fait peur. Maintenant je ne sais pas si je pourrais supporter de ressentir autant de tristesse. »

 

Ce sont les 2e et 3e rêves de S, qui a été maltraitée enfant par sa mère et son beau-père. Elle a été frappée, humiliée, punie, mise au travail…. Un quotidien insupportable qui a laissé des traces sur le plan physique et psychologique. S a déjà analysé son passé, elle sait que ce qu’elle a vécu n’était pas normal. Ces deux rêves l’ont avec son ressenti d’enfant, ce qui est très différent. Elle a senti dans son corps toute la tension qu’elle éprouvait enfant. Elle a pu la mesurer alors qu’elle avait tendance à la minimiser. Après ces deux rêves difficiles, elle dira «  Je pensais que je n’avais plus ces peurs, Je pensais que c’était évacué. »

Pour pouvoir survivre à ce genre d’environnement, l’enfant se coupe de son ressenti ou le minimise. Mais ne plus sentir la douleur n’efface pas celle-ci. Les souffrances émotionnelles et physiques non conscientes et accumulées peuvent générer à l’âge adulte un inconfort, une dépression, des problèmes physiologiques. L’adulte continue à fonctionner comme il a appris à le faire, en se coupant de son ressenti et de sa vulnérabilité. S dira : « quand j’étais enfant, je savais que ce qu’ils faisaient n’était pas normal, mais ensuite, j’en suis venue à douter. Peut-être que c’était de ma faute… » Mettre de la conscience sur des contenus émotionnels refoulés de l’enfance permet de les autoriser, de les valider (on a interdit à l’enfant de se plaindre, d’être en colère, de pleurer). Cela amène la personne à lâcher progressivement ses comportements défensifs, à être plus en douceur avec elle-même.

Il est très courant que le rêve éveillé fasse jaillir des émotions et des sensations corporelles. Cela permet un travail plus en profondeur, qui va au-delà de la compréhension seule.

Notons qu’un vécu émotionnel passé, même depuis très longtemps, se rejoue inconsciemment tant qu’il n’a pas été reconnu, embrassé, validé. C’est pour cela que notre présent d’adulte est perturbé par des traumatismes de l’enfance.

 

  • Poser son sac : P., 23 ans

« Des résineux en cercle. Une clairière au milieu. Du brouillard. Tout est très calme et froid. Comme s’il n’y avait pas d’animaux à l’intérieur.[…] C’est un peu comme s’il n’y avait pas de sortie à la forêt. Le seul endroit c’est cette clairière.[…] Je suis au milieu de la clairière. Les arbres sont très hauts. Les branches sont très hautes. Mais il n’y a rien à faire, en fait…Je suis assis…Je ne fais rien. Je suis là , simplement. Je ne sais pas quoi faire. En plus je suis tout seul. J’ai un sac à dos. J’arrive pas à l’ouvrir. Je n’ai pas envie de savoir ce qu’il y a dedans. […] Je pourrais ne pas aimer. Comme si c’était des affaires que je n’ai pas envie de voir. Je pense que ce sont des objets dont je ne me sers plus mais je n’arrive pas à me séparer parce qu’ils ont une valeur sentimentale. […]

La forêt est faite comme une toile d’araignée à partir de la clairière. Les arbres sont rangés, c’est tous les mêmes. Des lignes d’arbres jusqu’à l’infini. Et cela ne s’arrête jamais. Cela ne donne pas envie de s’y promener. Y’a pas d’animaux du tout. Ce ne sont que des pins, avec beaucoup de brouillard.

[…]

Attendre que le temps passe. Je me vois du dessus avec la forêt autour. Je ne suis pas à l’intérieur de mon corps qui est dans la clairière. C’est pour ça que je vois la forêt qui n’en finit pas. Je ne vois pas le ciel.

[…] En fait c’est une partie de moi qui est dans la clairière. Je ne sais pas si j’ai vraiment besoin de cette partie. J'attends. Dans le sac, je sais ce qu’il y a, j’en veux plus, mais je n’ai pas envie de le jeter. J’ai juste l’impression que je me laisse mourir là. Si je jette ces vieilles affaires, je trouverais une sortie mais je n’y arrive pas…. »

C’est le premier rêve de P. qui veut démarrer une thérapie pour se sortir de comportements addictifs qui ont failli le détruire complètement. Au moment où il vient il a déjà largement diminué sa consommation, mais il est dans un entre-deux. Il comprend que son état est critique, mais il n’a pas encore retrouvé un élan de vie, un nouveau but et il ignore pourquoi il en est là.

A la différence du rêve de S., il n’y a pas d’expression émotionnelle. Le rêve est très symbolique et expose formidablement la situation de P. La forêt de pins sombre, sans verdure, sans animaux,  en toile d’araignée, montre les nœuds intérieurs dans lesquels il est encore bloqué. Il exprime sa solitude, sa difficulté à reprendre l’initiative dans sa vie, son épuisement psychique et la difficulté de se séparer de son sac (contenant en fait les stupéfiants).

Quand on adhère complètement à son rêve, dès les premières minutes on perd la maîtrise du scénario. En théorie on pourrait imaginer ce qu’on veut, mais dans le rêve on peut se trouver vraiment bloqué pendant de longues minutes avant qu’une solution apparaisse. Le rêve de P. s’est étiré assez longuement, avec de longues pauses. Il était impossible pour lui de bouger de cette clairière. Le rêveur vit son rêve, vit ses états intérieurs, et c’est cela qui active un processus de prise de conscience.

 

  • Les liens de fidélité : M. 32 ans

« Je me ballade dans une déchetterie. Il y a plein d’os de gens morts. Plein d’os de cadavres. […] Je me ballade dans cette zone où il n’y a pas de vie, de végétation. Tout est calciné. Ce n’est pas associé à de la souffrance. C’est comme si j’étais là pour les morts, mais cela ne sert à rien puisqu’ils sont morts ! Comme si j’avais envie de les aider mais eux ne vont partir de là ! Je suis comme enchaînée dans cette zone en étant vivante, en ayant envie d’aller ailleurs. [Pleure] […] Du coup je ne sais pas pourquoi je suis là. Pourquoi je reste ? Est-ce que ce sont les morts qui m’obligent ? A quoi ça sert ? Peut-être que je peux en sortir. Peut-être que c’est moi qui y reste. Peut-être pour rester loyale. Comme si je restais à veiller les morts….Il faudrait plutôt aller du côté de la vie. En soi, eux, ils n’ont plus de prise sur moi au final. C’est peut-être juste moi qui reste. […] C’est certain en tout cas qu’ils ne peuvent pas revenir ! Mais c’est comme si je ne pouvais pas partir parce qu’ils sont tous exposés, ils n’ont pas été enterrés. Au moins les recouvrir de terre. Je n’aurai plus besoin de veiller sur eux. »

Comme dans le rêve de P., M. est aux prises de son scénario : elle est dans cet endroit et ne peut pas bouger. Impossible de visualiser autre chose même si  elle sait que rien ne la retient. Son inconscient lui montre un processus qui bloque son élan vital.

Dans l’échange qui a suivi, le rêve va prendre son sens à partir du mot « loyale ». A qui / quoi reste-t-elle fidèle ? Il se trouve, pour des raisons qu’on n’évoquera pas ici, que la maman de M. a alterné toute sa vie entre des moments de vitalité et de dépression, étant elle-même coincée dans une certaine morbidité. Cela a pesé lourdement sur le lien de M avec sa mère.

Après son rêve, M prend conscience qu’elle ne peut pas faire autrement que  d’aider sa mère. Une part d’elle est inquiète pour elle. C’est impossible d’imaginer être pleinement heureuse si sa mère ne va pas bien. Elle aurait dans ce cas l’impression de l’abandonner. Ce serait trop angoissant. C’est ce qu’on appelle un lien de fidélité. L’enfant se construit en soignant d’un des parents et l’adulte ensuite  ne peut plus sortir de ce rôle ce qui l’empêche de vivre sa vie. Le rêve exprime la puissance du lien de fidélité.

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  • Le château de glace V. 17 ans

«  Un cavalier dans un paysage de sable et de palmiers…Il avance et va vers un univers de glace un peu comme dans la Reine des Neiges… Tout est en glace. C’est un château de glace, personne ne peut vivre dedans… C’est comme un monument, personne ne peut vivre dedans. Autour du château, c’est vide. Il n’y a pas de terre. Il est comme en suspens. (…)»

V. est dans le passage de l’adolescence, temps de réactivation de certaines problématiques non résolues et moment de prise d’indépendance. Certains évènements de son histoire ont bloqué certaines émotions (la glace) et figé son rapport à l’émotionnel en général ce qui rend parfois difficile les relations.

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  • La lune – mère  M. 45 ans

« (…) Je suis dans une grotte, il fait noir. Odeur de grotte humide… Je vois de la mousse sur de la roche humide… Comme un croissant de lune. J’avance et je vois une étendue d’eau, comme un petit lac. C’est silencieux, c’est la nuit. Je vois la lune qui se reflète dans l’eau. (…) Je m’endors et quand je me réveille il fait jour, il y a le soleil. Il y a des enfants qui jouent partout. Je pourrais aller jouer, mais quelque chose me retient, m’empêche. Comme si je n’avais pas le droit. Je regarde, j’ai la sensation d’être vide. (…) Finalement j’y vais. La nuit revient. Il va falloir rentrer à la maison maintenant.  J’ai l’angoisse de me faire grondée. Je vais mentir. Je  ne veux pas rentrer. Je me revois à la maison, chez mes parents. Je vois ma mère. Je la vois avec son tablier devant la porte. Elle n’a pas l’air content. Je vois derrière elle toute sa colère, comme s’il y avait un gros ballon avec dedans des visages d’elle en colère. J’ai l’impression de disparaître. Quelque chose s’éteint en moi. (…) Je l’entends me dire «  Tu as intérêt à être sage. », «  Tu écoutes ce qu’on te dit ? ». J’ai la nausée. »

  La lune et le soleil symbolisent les figures parentales, les deux piliers sur lesquels se construit l’enfant. L’enfant introjecte, met à l’intérieur de lui, les discours et attitudes de ses parents. Cela forme des images parentales intérieures qui perdurent au-delà de l’enfance et qui rejouent les voix parentales. Ici il y a une chaîne de symboles qui introduit la thématique féminine et  maternelle : la grotte, l’humide, la lune, la nuit, l’eau. Après un passage dans l’univers du jeu spontané de l’enfant, la rêveuse revoit sa mère en colère qui vient casser la spontanéité. M. est devenue une enfant adaptée aux exigences de sa mère. Elle a intériorisé ce qui était autorisé et ce qui ne l’était pas se coupant ainsi de sa créativité, du jeu, de la liberté d’être. Adulte elle contrôle beaucoup, s’appliquant à faire son devoir avant tout. Le rêve lui indique le besoin d’aller chercher l’enfant intérieur joueur, espiègle, joyeux qui a été renié. Pour cela elle doit prendre conscience du poids des injonctions négatives maternelles.

 

3 / Quelques  éléments théoriques à propos de la méthode du REL

 

  • Le symbole, une image vivante

Le mot symbole est issu du grec ancien «  sumbolon » qui signifie «  mettre ensemble ». A l’origine il désignait un objet cassé en deux, utilisé dans les contrats commerciaux, dont chaque partie était donnée à deux personnes qui ainsi pouvaient se reconnaître.

La fonction du symbole est donc de réassembler, faire du lien, entre deux parties. Sur le plan psychologique, le symbole établit un pont entre deux réalités : le conscient et l’inconscient.

Le symbole des rêves nocturnes, des rêves éveillés, ou encore celui qui émerge spontanément d’un processus d’imagination active est une image vivante avec laquelle il faut développer un dialogue. Il est «  la face visible de l’invisible » selon Michel Cazenave.[6] A la différence d’un signe qui est une convention, « un des traits caractéristiques du symbole est la simultanéité des sens qu’il révèle. » souligne Jean Chevallier. [7] Il introduit ainsi  vers de multiples dimensions, et on ne peut l’enfermer  dans une signification unique car au fil de l’histoire, des mythologies, des traditions, il s’est imprégné de différentes thématiques. Dans le champ de l’interprétation des rêves, il faut aussi replacer le symbole dans le contexte individuel de la personne. Que signifie-t-il pour elle ? Quelle résonnance provoque-t-il ? Le symbole est porteur d’une énergie, il est l’expression imagée, visible, d’une dynamique psychique inconsciente. Il est donc comme un seuil accédant à une autre réalité dont on peut  faire l’expérience. La puissance du symbole est de mettre en contact avec des parts de soi refoulées, reniées ou jamais contactées, amenant ainsi à une rencontre avec soi.

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  • Imaginaire et pensée analytique

« Le symbole dépasse les mesures de la raison pure, sans pour autant tomber dans l’absurde. » Jean Chevallier

Les deux hémisphères de notre cerveau ne pensent pas de la même manière. Le cerveau gauche aime la logique, l’ordre, les mots, les arguments. Le cerveau droit est holistique et non-verbal. Il s’intéresse à la vision d’ensemble, la signification et le ressenti par rapport à une expérience. Il s’intéresse aux émotions, aux sensations qui viennent du corps. Pour une vie équilibrée nous devons nous relier à ces deux intelligences complémentaires qui nous permettent d’être d’un côté solidement ancrés dans le réel, en capacité d’organiser une pensée logique donc d’élaborer des projets construits, et de l’autre d’être profondément reliés à nos tripes, notre cœur, à l’autre, à notre humanité, notre créativité. Notre civilisation a tendance à privilégier le cerveau gauche dès l’enfance. Nous pensons, disséquons, analysons beaucoup, accumulons les savoirs sans pour autant les relier les uns aux autres, et perdons ainsi notre capacité à penser globalement. L’intelligence imaginative, symbolique, est reliée au cerveau droit et nous amène au cœur du vivant. Elle nous amène à nous décaler de nos rigidités, et nous remet en contact avec nos émotions, nos besoins, nos élans, nos aspirations.

Le langage symbolique n’avance pas d’arguments, ne cherche pas à démontrer, il raconte le vivant. Il exprime les réalités intérieures, les met en lien avec l’extérieur. Il exprime simultanément les différentes dimensions de l’être. Une même image peut montrer en même temps une émotion, une idée, une aspiration, une sensation. Il est parfois plus facile d’exprimer une pensée, un état, par une image qu’avec des concepts. C’est pour cela qu’à la fin d’un rêve éveillé on a en général la sensation (malgré les apparentes incohérences des images parfois !) d’être profondément relié à soi, d’avoir exprimé des choses essentielles. Le symbole rassemble et harmonise.

Le REL place directement  la personne en contact avec l’aspect dynamique de la psyché. On se rend compte que cela bouge, cela s’anime à  l’intérieur, sans volonté. Chaque image est porteuse d’une énergie, d’un état,  dont le rêveur fait l’expérience.

 

 

  • La dynamique des symboles dans le REL

Georges Romey a effectué un travail synthétique à partir du corpus des rêves éveillés qu’il a recueillis en séance. Il a élaboré une base de données répertoriant les symboles et en a extrait  les images les plus fréquentes dans les scénarios pour aboutir à la rédaction des 4 tomes de son Dictionnaire de la symbolique.  Pour chaque symbole étudié il a croisé méthodiquement les statistiques émergeant de la base de données, a repris un échantillon de rêves éveillés contenant le symbole en question qu’il a mis en corrélation avec les problématiques de chaque patient. Il a donc choisi, dans un premier temps, de mettre de côté tout le savoir à disposition par les multiples synthèses de chercheurs et universitaires ayant déjà travaillé sur la symbolique pour essayer de poser un œil neuf sur chaque symbole.[8] Cela lui a permis de trouver de nouvelles significations à certains symboles et surtout de mieux comprendre la dynamique de l’imaginaire au sein d’un scénario de rêve éveillé. En effet un rêve éveillé est une structure vivante cohérente. Tout se passe comme si dès le début d’un rêve, l’entièreté du scénario était prévue en quelque sorte. Chaque image participe à cette structure. Ainsi les symboles s’enchainent, formant des chemins d’images suivant l’influx nerveux. L’erreur serait de vouloir interpréter chaque image séparément et de juxtaposer ces significations. Ce serait comme de séparer chaque lettre d’un mot qui n’aurait ainsi plus de sens.

On sait que lorsqu’un évènement n’est pas intégré consciemment, il est stocké dans la mémoire implicite, avec sa charge émotionnelle, les sensations associées ainsi que son lot de croyances négatives ou erronées sur l’évènement ou sur soi-même. Quand un évènement n’a pas pu être intégré dans l’enfance, un système de défense se met en place pour l’archiver. Il n’est plus accessible consciemment, mais son contenu est encore actif inconsciemment. Les souvenirs implicites influent aujourd’hui sur notre manière de vivre et d’interagir avec le monde.

Le rêve éveillé met en contact avec des contenus émotionnels refoulés ou non totalement intégrés. Les circuits neuronaux porteurs de ces mémoires émotionnelles implicites sont donc activés. Les enchainements d’images suivent l’influx nerveux et révèlent le cheminement psychologique qui est en train de s’élaborer. Un rêve éveillé n’est donc pas une rêverie éthérée mais un processus ayant une part physiologique. Certaines images appelées « franchissement de seuil »[9] signalent quand un contenu refoulé est libéré au point que cette libération entraine parfois un gros bouleversement chez la personne.

Point de résolution magique pour autant ! Un seul rêve ne désactive pas automatiquement et définitivement une connexion neuronale associée à une construction négative ou à un souvenir traumatique ( d’autant plus si la personne s’est structurée autour de ce souvenir). Il y a souvent besoin de revenir encore et encore  sur ces mêmes constructions avant qu’une transformation durable ne s’ancre. Par ailleurs,  le temps d’échange et d’interprétation après le rêve est absolument nécessaire pour intégrer le processus qui serait susceptible de tomber dans l’oubli sans cela.

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  • Dialectique avec l’inconscient

Le symbole, on l’a dit, est un pont vers l’inconscient qui permet d’enclencher une dialectique avec ce dernier. Mais qu’est-ce que l’inconscient ? C’est un terme général qui recouvre une réalité complexe. Les différents courants psychanalytiques n’en ont pas la même vision, ce qui montre que  la définition de l’inconscient n’est pas figée. Elle évolue au fil des recherches, des courants de pensée et  des générations.

Freud et Jung sont deux figures incontournables de la recherche sur l’inconscient. Jung a été l’élève de Freud, mais Freud lui-même a puisé dans la pensée de  certains auteurs avant lui.

Pour Freud, les éléments de l’inconscient sont des contenus du conscient tombés au-dessous du seuil de la conscience à cause de l’oubli d’un contexte pénible,  processus  appelé le refoulement. Cet inconscient n’est donc en quelque sorte que du conscient rejeté. Il s’agit d’une couche liée à l’histoire personnelle liée aux évènements de la vie, à  la construction de la personnalité.

Carl Gustav Jung va conserver l’inconscient freudien mais aussi y ajouter, ce qui sera sa contribution la plus originale à l’exploration de la psyché, un inconscient collectif lui-même composé de plusieurs stratifications. Cela implique que le bébé en arrivant au monde n’est pas une page vierge, mais est  déjà porteur d’informations. Chaque individu selon Jung porte une part de l’inconscient collectif. Il y a d’abord une couche familiale qui porte les mémoires de la famille sur plusieurs générations. L’inconscient familial concerne tout ce qui s’est dit et pensé dans une famille depuis des générations et aussi tout ce qui a été interdit, refoulé, déprécié. Cette couche de la psyché peut être la source de beaucoup de conditionnements.

 Puis un peu plus largement, chaque individu s’insérant dans une époque et une culture, il est relié inconsciemment à l’histoire collective de sa culture de naissance.  Ainsi l’impact émotionnel collectif de certains faits ou guerres peuvent toucher profondément les générations suivantes.

Plus on descend dans l’inconscient jungien, plus on trouve des matériaux collectifs appartenant à l’humanité tout entière. Ces matériaux, qu’il a nommés archétypes, sont les racines vivantes de la psyché. Ils nourrissent le contenu des mythes, des contes, ils sont les énergies des dieux de différentes traditions qui représentent des aspects psychiques fondamentaux de l’humain.

A ces différentes strates de l’inconscient, Jung ajoute la notion d’individuation qu’on pourrait résumer comme étant le cheminement de conscience personnel où l’individu devient qui il est, où il endosse son destin.

Un rêve éveillé libre peut émaner de l’une ou l’autre de ces couches inconscientes. Il peut donc mettre en contact avec :

L’inconscient personnel : des mémoires refoulées douloureuses, des phases de développement de l’enfant qui ont présenté un problème, des liens conflictuels avec les parents ou autres éléments de la fratrie ou de l’entourage.

L’inconscient collectif : des éléments transgénérationnels, des éléments liés à des traumas collectifs, et  des éléments archétypiques plus profonds amenant à de « grands rêves » d’individuation.

Selon toutes ces thématiques, la coloration symbolique du Rêve éveillé ne sera pas la même.

 

Conclusion

Bien qu’héritier du courant psychanalytique, le Rêve éveillé libre s’inscrit aussi dans le courant plus récent des thérapies humanistes et transpersonnelles qui se sont décalées de l’aspect parfois beaucoup trop intellectuel de la psychanalyse. Les approches humanistes ont introduit une vision holistique de l’humain, en le replaçant dans toutes ses dimensions : corporelle, énergétique, émotionnelle, intellectuelle et spirituelle.

Travailler avec le Rêve suppose qu’on accepte de lâcher la « volonté volontaire » et son lot d’objectifs et d’injonctions, pour s’abandonner dans le processus intérieur d’aller vers soi. Nous sommes déjà qui nous sommes. Le projet est certes de cheminer vers un mieux-être, d’enclencher une transformation, mais pour cela nous n’avons pas besoin de devenir quelqu’un d’autre.  Choisir le REL suppose que nous fassions confiance à l’inconscient, confiance dans le fait que les ressources sont déjà là à l’intérieur. Le REL est une méthode douce qui va toujours dans le sens d’une harmonisation. Les images qui se présentent spontanément  sont toujours adaptées à ce que peut intégrer le rêveur.

La force du REL est de réhabiliter l’intelligence symbolique, sagesse intérieure, qui mène droit au cœur des grandes dynamiques de l’inconscient. Outre l’effet apaisant, je fais sans cesse le constat que le Rel fait émerger des questionnements profonds qu’on  ne se formule pas vraiment consciemment ou qu’on met de côté. Cela recentre vers ce qui est essentiel pour soi.

Et nous avons besoin de cela aussi collectivement : réhabiliter l’Intelligence profonde du Vivant, découvrir que nous avons des mondes à l’intérieur, voir que l’extérieur et l’intérieur sont les deux faces d’une même réalité.

« La règle psychologique est que tant qu’une situation intérieure n’est pas devenue consciente, elle se produit à l’extérieur, et devient un destin. C’est-à-dire que lorsque l’individu reste une entité qui n’a aucune conscience de ses contradictions intérieures, le monde doit forcément manifester le conflit et être déchiré en deux moitiés opposées. » Carl Gustav Jung

 

 

 

 

 

 

 

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[1] Marc-Alain Descamps, La maîtrise des rêves,  Editions universitaires 1983 p 137

[2] Alain, Vingt leçons sur les beaux-arts.

[3] Desoille Robert : Exploration de l'affectivité subconsciente par la méthode du Rêve Éveillé (1938), Le Rêve Éveillé en psychothérapie (1945), Théorie et Pratique du Rêve Éveillé Dirigé (1961), Le rêve-éveillé-dirigé : ces étranges chemins de l'imaginaire. Textes réunis par Nicole Fabre, Erès, 2006 ,  Marie Clotilde, une psychothérapie par le rêve éveillé, 

[4] Georges Romey  Rêver pour renaître  Robert Laffont 1982 ; Le Rêve Eveillé Libre, une nouvelle voie thérapeutique 2001 ; Dictionnaire de la symbolique (4 tomes), Albin Michel,  1995 à 2001

[5] Georges Romey a écrit un dictionnaire de la symbolique en quatre tomes, synthèse de tous les rêves éveillés recueillis en séance  et classés dans une base de données. Il a pu ainsi étudier l’univers symbolique propre au Rêve Eveillé Libre.

[6] Encyclopédie des symboles, Edition La Pochothèque, 1989, sous la direction de Michel Cazenave,  page 11 de l’introduction

[7] Dictionnaire des symboles,  Jean Chevallier, Alain Gheerbrant , Edition Robert Laffont, 1982 , introduction.

[8] Après ce travail, en comparant ce qu’il obtenait avec les travaux déjà connus  Georges Romey a souvent observé une convergence de sens. Cependant beaucoup de symboles apparaissant fréquemment dans les rêves éveillés ne sont pas présents dans les autres  dictionnaires.

[9] Passage d’une porte, traversée d’un miroir, franchissement d’un décor de théâtre  etc … Indiquent quand un système de défense se lève.

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